Depuis ses origines, le cinéma n’a jamais cessé d’être une expérience collective. Il se regarde dans le noir, en présence d’autrui. Il engendre des murmures partagés, des soupirs synchrones, des silences lourds de sens. Peut-être qu’aller au cinéma, aujourd’hui, c’est déjà un petit acte de résistance. À l’isolement. À l’ultra-personnalisation. Aux algorithmes. C’est choisir d’être là, ensemble, dans le noir, à vibrer pour la même histoire.
Cette semaine, Intervistar explore cette dimension du ensemble. Ce n’est pas un slogan. C’est une réalité esthétique, sociale, politique.
Coup de cœur : “Différente” de Lola Doillon
Et si la prochaine grande histoire d’amour au cinéma passait par la découverte de soi ? Avec Différente, la réalisatrice Lola Doillon (Et toi, t’es sur qui ?) signe une comédie romantique… pas comme les autres. C’est en salles à partir du 11 juin.
On y suit Katia, documentaliste brillante, en couple et en apparence bien installée, jusqu’au jour où un diagnostic d’autisme vient tout bouleverser. Le film explore avec finesse une forme d’autisme féminin encore trop méconnue, et surtout la façon dont ce regard neuf sur soi peut chambouler les sentiments, les équilibres, les certitudes. Lola Doillon fait une plongée douce et sensible dans les méandres de l’identité, des émotions, des maladresses et des ajustements que demande le lien à l’autre. C’est touchant, souvent drôle, et surtout nécessaire. Deux avant-premières ont lieu mardi 10 juin. L’une à 19h au MK2 Quai de Seine suivi d’une séance débat animé par l’association Ikigai. L’autre à 19h45 au Pathé Convention en présence de l’équipe du film et de l’association GEM TSA Paris. Le samedi 14 juin, la réalisatrice sera à l’Eden Théâtre à La Ciotat dans le cadre de la célébration des 130 ans du cinéma.
Ciné social club : le film, mais surtout les gens
Le cinéma n’est pas mort, il se réinvente en club social. Une envie simple refait surface : voir un film ensemble, dans une salle, et en parler après. Plus horizontal, plus humain, plus pop. Que tu sois du genre à décortiquer chaque plan ou à juste vouloir vibrer, ces nouvelles formes de cinéphilie ont un message: viens comme tu es. Pas besoin de master en ciné pour ça. Juste l’envie de partager. De plus en plus d’initiatives transforment la séance de ciné en expérience collective, joyeuse et désinhibée. Focus sur deux collectifs qui donnent envie d’y aller groupé.
Ramy Ciné Club – pour créer une communauté (et bien manger)
À la tête de ce ciné-club nouvelle génération, Ramy et Kika, passionnés de cinéma et de lien social. Au départ, ils étaient membres d’une communauté de running, où ils retrouvaient des inconnus pour courir. “Puis, on s’est dit, explique Ramy, pourquoi ne pas faire une communauté autour du cinéma? Le Ramy Ciné Club ce n’est pas un rendez-vous pour cinéphiles. Les gens ne savent pas à l’avance quel film ils vont voir. L’idée c’est de partager un moment, de manger ensemble. C’est en regardant la présentation powerpoint que je présente qu’ils devinent progressivement le titre du film.” Deux fois par semaine, donc, le jeudi et le dimanche, dans un appartement, assis sur des chaises Quechua, le public découvre Les Dents de la Mer, Annie Hall ou A propos d’Elly. Pour y assister, rien de plus simple, on suit l’insta du Ramy Ciné Club puis on s’inscrit sur partiful (lien en bio de l’insta). Les films choisis vont de l’indé américain à la comédie française, toujours avec un œil sur ce qui émeut, interroge, rassemble. Et les fidèles reviennent, non seulement pour les films, mais pour la bulle collective qui se crée dans la salle.
Le collectif investit aussi les salles de cinéma. Au programme cette semaine : Sailor & Lula de David Lynch, mardi 10 juin à 20h au Max Linder, ou Persepolis de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi, lundi 16 juin à 21h15, au Grand Action.
Les BFF du ciné – des potes et des jeux
Cette dynamique fait écho à un autre rendez-vous hebdomadaire : Les BFF du Ciné, (pour Best Film Friends) fondé par Caroline Sabucco, Valentine Bernard et Salim Hamzaoui. Avec eux, l’idée c’est d’aller voir un film avec des inconnus et de ressortir de la salle avec des potes. On va au cinéma comme on va à une fête — pour pleurer ensemble, rire fort, ou juste kiffer en bande. Chaque mercredi, la communauté vote sur Instagram parmi trois films, l’élu est annoncé le vendredi, et le mardi suivant, tout le monde se retrouve devant le cinéma (mieux vaut avoir réserver sa place en avance, certaines salles sont vite complètes). Il suffit de suivre les pancartes « Vos BFF du ciné ». La soirée se prolonge autour d’un verre, pour échanger sur le film . Ce mardi 10 juin, les BFF se retrouveront pour découvrir The Phoenician Scheme de Wes Anderson à l’UGC Ciné Cité Les Halles.
Lost in Frenchlation – recherche Anglais désespérément
Ici c’est la communauté anglophone qui est servie. Lost in Frenchlation leur propose des films français avec des sous-titres anglais. Initié par Manon Kerjean il y a 8 ans, Lost in Frenchlation est devenu le rendez-vous des anglophones qui peuvent découvrir des sortis récentes comme des films de patrimoine. Dans toute la France, chaque séance est accompagnée d’un apéritif et d’une animation: Petit concert avant la présentation de Boléro, ciné-balade avant Peau d’âne… “L’idée, explique Manon Kerjean, est de faire l’expérience de la culture française à travers le cinéma.” Pour la fête des Pères, vous aurez droit au Grand Bain au Studio des Ursulines (Paris) ou le 19 juin La venue de l’avenir au Royal à Biarritz.
Pourquoi ça cartonne ?
Ces rencontres In Real Life permettent de refaire communauté autour de la culture. Avec la saturation numérique, les gens sont en recherche de rituels, de vies au présent et de partage.
Ciné-Relax : Un cinéma où tout le monde a sa place
Le cinéma, une expérience à vivre ensemble. Mais pour certains, cette évidence peut vite devenir un défi. C’est pour cela que l’association Culture Relax (anciennement Ciné-ma différence) propose, dans près de 70 villes en France, des séances Ciné Relax pour inclure tous les publics, y compris les personnes en situation de handicap.
Tout a commencé avec des parents lassés de voir leurs enfants – autistes, polyhandicapés, ou en situation de handicap intellectuel, cognitif ou psychique – exclus de l’offre culturelle. Depuis 2005, les séances Ciné Relax, permettent à chacun de vivre le cinéma à sa façon. Applaudir, crier, rire, s’exprimer librement : ici, les émotions sont les bienvenues.
Les projections ont lieu dans des cinémas tout public, équipés de salles accessibles aux personnes à mobilité réduite, afin d’accueillir des spectateurs aux profils variés. “Ce sont des séances ordinaires rendus accessibles”, insiste Pascaline Morel, cheffe de projet communication et partenariats de Culture Relax. “Les familles ne voulaient pas rester qu’entre elles, mais partager ces séances pour sensibiliser le public non concerné”, ajoute Carole Julienne, coordinatrice du réseau.
Lumière s’éteignant doucement, volume sonore réduit, absence de publicités et de bandes-annonces : tout y est fait pour que chacun, avec ou sans handicap, puisse profiter de la magie du grand écran. Un cadre bienveillant, rendu possible grâce à l’aide précieuse de bénévoles. L’année dernière, ce sont 691 personnes qui ont été formées pour permettre à chacun de profiter de la culture, sans exclusion.
Le 14 juin, les spectateurs pourront voir Lilo & Stitch à Saint-Omer, Montreuil, Pessac, Colomiers, Eysines ou Strasbourg. Le même jour, les Parisiens auront le choix entre l’UGC Bercy et l’UGC Paris 19 pour voir Partir un jour, le film d’ouverture du dernier Festival de Cannes que nous avions adoré ! Ils pourront aussi (re)découvrir notre coup de coeur de la semaine dernière : Le Répondeur, projeté à Antony et Garches le 14, et à Cadillac le 15 juin. Pas besoin de réserver, il suffit simplement de venir à l’heure et au jour de la projection !
Vacances forcées: la comédie du vivre ensemble
Avec Vacances forcées, en salles à partir du 11 juin, la fiction met en jeu ce que vivre ensemble veut dire concrètement : tensions de classe, frottements culturels, mais aussi possibilité d’une écoute, d’un ajustement. Le film, sans dogmatisme, met en scène la complexité de la coexistence. Dans un monde de replis et de séparations, Vacances forcées rappelle que la magie du collectif peut opérer n’importe où.
Dans ce film signé Stephan Archinard et François Prevot-Leygonie, une famille modeste, un couple de dentistes, un éditeur snob avec son influenceuse se voient contraints de partager une même villa sur la côte atlantique. Ce qui commence comme un chaos organisé devient peu à peu un laboratoire d’humanité. Les différences de mode de vie, de classe, de génération, deviennent des prétextes à l’écoute, à la remise en question, à la rencontre. Le film n’édulcore pas les conflits, mais montre combien l’autre peut devenir un allié inattendu, un miroir utile ou un ami en devenir.
Clovis Cornillac, Aure Atika, Laurent Stocker, Pauline Clément et Bertrand Usclat incarnent avec justesse ces personnages cabossés, parfois caricaturaux au début, mais qui s’humanisent au fil des jours. Sans oublier, la découverte du film Claïna Clavaron, pensionnaire de la Comédie-Française qu’on avait repéré en Hyacinte dans Les fourberies de Scapin. Le récit avance avec légèreté, porté par des dialogues ciselés et des scènes de vie qui font mouche — une danse partagée, une fugue d’ado, une discussion sous les étoiles.
Crasse : Un film brut
Dans Crasse, c’est une autre forme de “vivre ensemble” qui est interrogée : que faire quand le lien maternel est brouillé par le chaos ? Quand l’amour se niche dans la poussière, les silences, les blessures non pansées ?
Crasse, premier long-métrage de Luna Carmoon, est un film rare, qui donne une voix à celles et ceux qu’on préfère souvent cacher. Dès les premières minutes, on est plongés dans l’univers de Maria, 7 ans, qui grandit dans une maison saturée d’objets, de déchets, de bibelots entassés à l’extrême. Sa mère (incarnée avec intensité par Hayley Squires) souffre de ce que l’on identifie comme un syndrome de Diogène : un trouble encore largement méconnu, souvent stigmatisé, associé à l’accumulation compulsive, au refus de soin, à l’isolement social.
Mais Crasse ne juge jamais. Au contraire : il donne chair, émotion, humanité à cette réalité dérangeante. La relation mère-fille est faite de tendresse, d’étrangeté et de chaos. Dix ans plus tard, Maria, désormais adolescente (formidable Saura Lightfoot-Leon), vit en foyer. Elle tente de réapprendre les codes d’un quotidien « normal ». Mais l’arrivée de Michael, un autre jeune au passé trouble, fait voler en éclats ses repères.
Luna Carmoon filme au plus près des corps, des matières, des souvenirs. Les images sentent la poussière, les peluches humides, la confiture renversée et les rêves étouffés. Le dérangement visuel devient un langage émotionnel. Jamais misérabiliste, toujours sincère, Crasse interroge : Que fait-on des personnes “ingérables” ? Peut-on aimer quand on n’a pas appris à être aimé ?
Crasse n’est pas un film “agréable”. C’est un film important, qui élargit notre regard sur l’humain. Sur ce qu’on garde, ce qu’on cache, ce qu’on partage — ou pas. Une expérience à vivre, débattre et recommander. Le lundi 16 juin, la projection du film au MK2 Bibiothèque, est suivie d’une conférence avec le psychiatre Jean-Victor Blanc sur le thème de « La santé mentale au cinéma ».
5 pépites de La Quinzaine à découvrir dans les salles
Quelques jours seulement après la clôture du Festival de Cannes 2025, la 57ᵉ édition de la Quinzaine des Cinéastes débarque en salles dans toute la France. Entre le 10 et le 22 juin au Forum des images (Paris), ainsi que du 11 au 17 juin dans une trentaine de cinémas partenaires (Le Sélect à Antony, Jeanne Moreau à Clamart, Le Diagonal à Montpellier, le Belmondo à Nice, l’Utopia à Bordeaux…), les cinéphiles sont conviés à revivre l’élan de création du festival. Voici une sélection des séances à ne pas louper et les coups de coeur d’Intervistar.
Enzo (Laurent Cantet & Robin Campillo), en présence de l’équipe du film (Forum des Images, 10 juin, 19h). Un film sensible et touchant. A noter sur le pass Quinzaine du Forum des Images vous donne accès à toutes les séances pour 25 €. Sans oublier, la Quinzaine augmentée: un cycle de discussions exceptionnel organisé par la Société des réalisatrices et réalisateurs de films.
Classe Moyenne (Anthony Cordier), en présence de l’équipe du film le 15 juin à 16h30 au Reflet Médicis à Paris. Une comédie féroce où s’affronte Laurent Lafitte, Elodie Bouchez, Ramzy Bedia et Laure Calamy.
Les filles désir (Prïncia Car), en présence de la réalisatrice le 12 juin à 20h30 à la Comoedia à Lyon. Un film solaire improvisé en partie par des acteurs non professionnels.
The President’s Cake (Hasan Hadi), lauréat de la Caméra d’Or 2025 (meilleur premier film toutes sections confondues) le 11 juin à 20h30 au Katorza à Nantes en présence de Mirana Rakotozafy, directrice de la distribution chez Tandem. Un film familial sur la résistance à la dictature.
Miroirs No.3 (Christian Petzold) le 17 juin à 18h au cinéma Jeanne Moreau à Clamart. Une histoire étrange et fascinante signée par le chef de file du cinéma allemand auquel le Festival La Rochelle Cinéma va bientôt rendre hommage.
« First Time Watching » : Partagez en ligne
Sur YouTube, TikTok et Reddit, une tendance s’impose : des spectateurs se filment en train de découvrir un film pour la première fois, partageant leurs réactions en temps réel. Ces vidéos intitulées « First Time Watching » offrent une immersion dans l’émotion brute de la découverte cinématographique. Elles capturent des moments authentiques : surprise, rire, larmes. Des chaînes YouTube comme « Late to the Party » ou « Popcorn in Bed » se sont spécialisées dans ce format, proposant des réactions à des classiques du cinéma.
Dans un monde où l’expérience cinématographique devient de plus en plus individuelle, ces vidéos créent une forme de communauté virtuelle. Elles répondent à un besoin de partage et de connexion, offrant un espace où les émotions sont partagées et validées.
En France, il n’existe pas (encore) de phénomène « First Time Watching » aussi massif ou structuré qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni, mais des formes proches émergent. Sur Discord ou plus récemment Tiktok, des ciné-clubs numériques voient le jour pour voir ou revoir des films, les commenter et partager, autrement, une passion pour le septième art. Sur Tiktok, les comptes tape_in et manonvintage rassemblent chaque mois leurs abonnés lors d’un live sur la plateforme pour discuter d’un film choisi en amont. “On choisit deux titres, explique Emanuele de Tape_in, toujours dans le catalogue des films visibles gratuitement (Arte ou FranceTV) et on propose à nos followers de choisir en story. Une fois le film choisi, on donne la date du live. Pour Cléo de 5 à 7, on était plus de 100!” Pendant le live, les créateurs de contenus élaborent un moodboard qui résume les avis ou interventions de chacun. Pour le prochain ciné-club fin juin, le choix sera entre Carol de Todd Haynes et Brokeback Mountain d’Ang Lee.
Audrey Tautou se montre, mais pas toute seule
Quels sont les effets de la célébrité? C’est avec un mélange d’humour, de sensibilité et de critique douce qu’Audrey Tautou répond à cette question créatrice, derrière l’objectif, au-delà de l’écran. Avec l’exposition Superfacial, elle expose 50 clichés au Quai de la Photo, en écho à son livre paru aux éditions Fisheye. Dans ce parcours immersif au bord de l’eau, Audrey Tautou détourne son image publique et se met à nu tout en jouant avec son mythe. Autoportraits aux allures théâtrales, écrits intimes, lettres de fans, portraits de journalistes en coulisses, revisitant la mécanique médiatique, l’ensemble est drôle et profond, à l’image de la comédienne.
Accès libre, ouvert tous les jours de midi à 2 h, avec visites guidées gratuites les mercredis à dimanches à 12h30, 14h30, 16h30 et 18h30. Jusqu’au 10 septembre 2025, au Quai de la Photo (Port de la Gare, 75013 Paris).
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