Le goût des autres

Il suffit parfois d’un plat filmé avec justesse pour réveiller une mémoire. Une madeleine trempée dans du thé. Une ratatouille qui ramène un critique blasé à l’enfance. Un bol de riz fumant dans un film d’Ozu. Au cinéma, la cuisine n’est jamais qu’un détail. Elle est langage, émotion, rituel. Elle met les personnages à nu. La table est souvent ce lieu de bascule où les masques tombent.

Pourquoi filme-t-on autant les repas ? Peut-être parce qu’ils racontent mieux que les mots ce que nous sommes. Qui mange quoi, avec qui, dans quel silence, dans quelle urgence ? La cuisine traduit la classe sociale, le désir, la solitude, la transmission. Dans Call Me by Your Name, on épluche une pêche comme on effleure un secret. Dans Tampopo, on slurpe des nouilles comme on ferait l’amour.

Et puis il y a les films qui nous donnent faim – littéralement. Ceux où la caméra caresse la pâte, fait briller une sauce, suit un couteau comme un pinceau. Ces films-là sont des caresses. Ils nous rappellent que cuisiner, c’est aimer. Que manger, c’est vivre. Et que le cinéma, dans ses plus belles scènes, sait rendre tout cela palpable.

Alors on ressort de la salle l’estomac qui gargouille, l’œil humide, et l’envie de cuisiner pour quelqu’un. Ou de simplement s’attabler avec les autres.

A table avec l’Histoire: Carême

Par une journaliste qui mange aussi avec les yeux

Alice Da Luz et Benjamin Voisin dans « Carême », ©Apple TV+

Oubliez les biopics compassés ou les séries de cuisine façon concours télé. Carême, nouvelle série ambitieuse d’Apple TV+, réussit un pari rare : mêler grande Histoire et grande gastronomie sans indigestion. En huit épisodes somptueusement réalisés, la série retrace l’ascension d’Antonin Carême, premier « chef star » de l’histoire, né dans la misère du Paris révolutionnaire et devenu cuisinier attitré de Talleyrand, Napoléon puis des tsars.

Incarné par un acteur magnétique (Benjamin Voisin), Carême n’est pas qu’un génie des fourneaux. Il est aussi un fin stratège, qui comprend que la cuisine peut être un outil de pouvoir. On suit sa progression sociale fulgurante dans une France instable où Napoléon grignote le pouvoir, où la diplomatie passe autant par les banquets que par les traités. Le personnage de Talleyrand (interprété avec une délicieuse ambiguïté par Jérémie Renier) devient son mentor autant que son maître. Face à lui Fouché (Micha Lescot) tisse avec une délicieuse perversité la toile où il cherche à le piéger.

La réalisation de Martin Bourboulon ne lésine pas sur les moyens : décors ciselés, éclairages à la bougie, reconstitutions historiques riches sans être pompeuses. Les scènes en cuisine sont traitées comme des ballets millimétrés, entre tension dramatique et poésie sensorielle. Carême évite l’écueil de l’esthétisme creux : ici, chaque assiette est un enjeu.

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Crème, la newsletter qui vous met l’eau à la bouche

Cette semaine, Intervistar s’associe à une plume aussi gourmande qu’inspirée : Alice Polack, autrice de la newsletter Crème, le rendez-vous rêvé de ceux qui aiment dévorer.

Experte food & travel, Alice voyage pour manger et mange pour raconter. Elle, qui a démarré comme ingénieur dans l’industrie agro-alimentaire, connait le secteur “de la fourche à la fourchette”. Elle s’est reconnectée à sa passion pour la gastronomie et l’oenologie léguée par son père, pour imaginer un média qui parle à tout le monde. Loin des influenceurs lifestyle qui ne jurent que par les avocado toasts, ou des critiques gastronomiques qui recommandent des adresses très onéreuses. Dans Crème, elle partage chaque mois ses obsessions du moment : tables qui font le buzz, spots à ne pas rater, artisans passionnés, hôtels qui donnent envie de poser ses valises… On a faim rien qu’en la lisant.

On y picore des city guides futés (elle a une passion pour les pays nordiques), des carnets d’adresses affûtés, et un “grand bench” des meilleurs produits (comment dénicher le granola bowl de compétition), et même des recettes maison. Bref, Crème, c’est plus qu’une newsletter : c’est un art de vivre.

Pour Intervistar, elle nous livre en exclusivité ses adresses favorites où savourer les plats iconiques du 7e art

Où manger… Des donuts comme dans les Simpson
  • Boneshaker – 86 rue d’Aboukir, 75002 Paris, France

Avec son esprit “foodporn” américain résolument assumé, on pourrait croire que l’adresse vient d’outre-Atlantique, mais Boneshaker est installé depuis des années dans la rue d’Aboukir, à deux pas de Sentier. Véritable temple du donut, ici on abuse sur les couleurs mais pas forcément sur le sucre ! La petite touche française qui fait que si chaque création est très gourmande, elle n’en devient pas écœurante pour autant.

  • Mamiche – 45 rue Condorcet 75009 Paris

Un esprit plus sobre, plus français, mais le même niveau de gourmandise qu’un de leurs confrères américains, c’est le pari juste de Mamiche avec ces beignets fourrés. Pas de glaçage exubérant, pas de goût extravagant, mais une pâte fondante recouverte de légers cristaux de sucre. Chocolat, Fraise-Rhubarbe ou Sirop d’Érable selon les saisons, la surprise se cache à l’intérieur.

Où manger… Les petits gâteaux des festins de Marie-Antoinette
  • Bontemps – 57 Rue de Bretagne, 75003 Paris, France

Bontemps est la pâtisserie où passer si vous voulez recréer un goûter digne du film de Marie-Antoinette ! Que ce soit dans le lieu ou les créations, on ne fait pas dans le minimalisme mais on joue à fond le romantisme que la pâtisserie française peut évoquer. Shop et salon de thé, c’est un boudoir sucré pavé de rose, de fleurs et de cœurs ! Un poil kitsch pour certains, ce qu’on retient chez Bontemps, c’est surtout la qualité de leurs biscuits, inégalée pour moi dans cette catégorie.

Un peu moins féerique dans l’aspect mais tout aussi délicieux, le Jardin Sucré porte bien son nom. Un parterre de pâtisseries raffinées et un sacré talent pour balancer les associations. Je n’ai eu que de très bonnes découvertes à chacun de mes passages et je suis persuadée que vous auriez été très bien accueillis si vous étiez arrivés chez Marie-Antoinette avec une boîte de ces douceurs ! Un incontournable si vous y passez : l’incroyable tarte pistache fleur d’oranger – souvent copiée, jamais égalée.

Où déguster… Un banquet comme dans Le Grand Restaurant

Le grand restaurant est une affaire d’opulence et à ce jeu, je pense que les Grands Buffets de Narbonne sont les champions toutes catégories. S’il est difficile de faire meilleur rapport qualité-prix (62,90 € pour accéder au buffet à volonté), il est aussi humainement impossible de goûter à tout ce qui y est proposé. Véritable hommage à la gastronomie française et à la cuisine d’Auguste Escoffier, s’étale sur plusieurs salles une quantité indécente de nourriture sans jamais en sacrifier la qualité ! Des dizaines de sortes de fromages, 7 foies gras différents, une tour de homard… la décadence a son adresse.

  • Boulom – 181 Rue Ordener, 75018 Paris, France

Pour tous les amoureux de buffet, Boulom est the place to be ! On emprunte l’entrée de la boulangerie, on longe les vitrines de pains et viennoiseries pour découvrir une grande salle lumineuse où se joue chaque midi un fascinant ballet ! D’imposantes cocottes en fonte, de nombreuses pièces de viande disponibles à la découpe, des plats de desserts qu’on vient servir à la louche, souvent qualifié de meilleur brunch de Paris, Boulom a définitivement des allures de déjeuner de famille.

Où manger… Les pâtes bolognaises de La Belle et le Clochard
  • Vecchio – 14 Rue Crespin du Gast, 75011 Paris, France

Quoi de mieux qu’un restaurant italo-new-yorkais pour recréer l’une des scènes cultes du 7ᵉ art ! Après tout, si la Belle et le Clochard se partagent un plat de pâtes, le film d’animation a bien lieu aux États-Unis, dans une ville indéfinie de la Nouvelle-Angleterre. L’origine des spaghetti aux boulettes de viande semble d’ailleurs plus côté américain qu’italien ! Vecchio pose donc le cadre parfait : intimiste et subtilement sulfureux pour redécouvrir ce plat et partager une assiette à deux.

  • Passerini – 65 Rue Traversière, 75012 Paris, France

Pour une version plus italienne et plus gastronomique, on fonce chez Passerini, qui est pour moi l’un des meilleurs Italiens de la capitale ! L’adresse propose une version qu’il qualifie d’ancêtre des spaghetti with meatballs : des tagliolini, ragoût traditionnel de “pallottine” de brebis.

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The Bear : une saison plus confite dans l’intime

Par une critique accro aux cuisines ouvertes

r/TheBear - La saison 4 de "The Bear" aurait dû mélanger le menu - Ce qui a marché, ce qui n'a pas marché et la suite

©2025 FX Productions, LLC. All rights reserved

Comment fait The Bear pour tenir ce niveau d’intensité sans s’essouffler ? Sur Disney+, la quatrième saison, de ce drame culinaire, créé par Christopher Stoller, devenu série d’auteur continue de creuser ses obsessions : la quête de l’excellence, le poids du passé, l’amour qui déborde des assiettes. Mais elle le fait en changeant encore de tempo. Plus introspective, plus resserrée, cette nouvelle saison abandonne (en partie) le chaos des cuisines pour aller explorer les failles intérieures de ses personnages. Moins de tension, plus de silences. La série culinaire la plus nerveuse du moment ralentit le tempo pour explorer les blessures. Une cuisson lente, à cœur, et un goût qui reste longtemps.

Jeremy Allen White incarne un chef toujours aussi habité, mais au bord de l’implosion. Son perfectionnisme devient un poison lent. Face à lui, Sydney (Ayo Edebiri, éblouissante) gagne en épaisseur, en autonomie, et en rage aussi. Cette saison, c’est elle qu’on regarde le plus — comme une étoile montante qu’on ne peut plus ignorer.

Fini (ou presque) le montage stroboscopique des services en feu. Cette saison prend le temps. Elle filme les silences gênés, les doutes qui s’installent, les gestes répétitifs en cuisine comme des prières. La série devient une partition plus douce, mais toujours virtuose. Mention spéciale à l’épisode 5, déjà culte, qui condense tout ce que The Bear sait faire : tordre le cœur en un seul plan fixe.

Au fond, The Bear parle de cuisine, oui — mais surtout de réparation. Des êtres cabossés qui tentent de construire quelque chose de beau ensemble. Et la saison 4 le fait avec une maturité impressionnante, sans perdre sa nervosité ni sa sincérité.

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L’Atlantic cuisine le cinéma

Deux films en avant-première, un bon repas entre les deux, et une soirée qui mêle découvertes cinématographiques et plaisirs de la table. Voilà le principe simple — et diablement efficace — de l’initiative « 1 film + 1 repas + 1 film = une bonne soirée », imaginée par le cinéma associatif L’Atlantic à La Turballe, petite ville en bord de mer.

Depuis plus de dix ans, ce rendez-vous estival fait salle comble. « L’idée, c’est de rester proche des spectateurs », explique Jérôme Penisson, directeur du cinéma. Entre les projections de films classés art et essai, des traiteurs ou restaurateurs locaux proposent un repas inspiré des œuvres à l’affiche. Un moyen de soutenir la scène culinaire du territoire tout en renforçant les liens entre cinéma et convivialité.

Au-delà du plaisir gustatif et cinématographique, ces soirées permettent de faire vivre le modèle associatif du cinéma et de « booster un peu la fréquentation”, ajoute le directeur. “Le concept marche très bien et les évènements sont régulièrement plein”, avec un nombre de repas limité à 80 personnes.

Le 21 juillet, le public pourra découvrir la dernière Palme d’or, Un simple accident de Jafar Panahi, suivie d’un repas aux inspirations iraniennes, préparé par le collectif Les Bocaux Locos, puis Connemara d’Alex Lutz. Le 28 juillet, Classe moyenne d’Antony Cordier, très remarqué à la Quinzaine des Cinéastes, puis Valeur sentimentale de Joachim Trier, du Grand Prix à Cannes. Si le cycle estival reste le moment fort de cette initiative, l’Atlantic ne s’arrête pas là. L’hiver dernier, Jérôme Penisson a également lancé des soirées “ciné-soupes”, toujours dans cet esprit de partage. Une idée à imiter ailleurs…

A Paris, le cinéma L’Epée de Bois propose une fois par mois le cycle Gourmépée. avec un repas en écho à un film. A retrouver dès la rentrée.


Du bon vin, des bons films, et la vie est belle

Cap sur Pauillac où le festival Les Vendanges du 7ᵉ Art marie cinéma d’auteur, grands crus et rencontres au bord de la Garonne. Au cœur du Médoc, s’ouvre la 10ᵉ édition, du mardi 8 au dimanche 13 juillet, de ce festival créé par Jocelyne Aimé.

Le concept ? Un bouquet d’une vingtaine de films, entre avant‑premières nationales et projections en plein air, des masterclass — dont une avec Patrick Bruel animée par Jean-Pierre Lavoignat —, des échanges avec les équipes de films, ainsi qu’un volet littéraire baptisé « Quai des Plumes ».

Pourquoi y aller ?

  1. 17 avant-premières : le meilleur du Festival de Cannes et des événements de la rentrée. Un tarif serré de 4€ (Pass Culture accepté). Des séances en plein air offertes pour petits et grands.

  2. Des rencontres au Château Grand-Puy Ducasse : Pour écouter David Foenkinos, le président du jury mais aussi Patrick Timsit, Patrick Bruel, Pierre Arditi et Emmanuel Courcol, le réalisateur d’en Fanfare.

  3. Un cadre enchanteur : que ce soit au cinéma L’Éden, ou sur les quais de Pauillac, une ambiance estivale et conviviale au milieu des vignobles.

Verdict : entre vin, festin visuel et culture partagée, ce festival est un véritable grand cru. À savourer sans modération.


Pelouse, papilles et projections au quai Branly

© Astrid Lecornu

Ramen japonais, curry indien, douceurs japonaises ou cuisine cajun… cet été, les pelouses du musée du quai Branly – Jacques Chirac se transforment en cinéma à ciel ouvert et en tour du monde gustatif. Du 6 juillet au 2 août, le Jardin d’été du musée célèbre les Saveurs et cuisines du monde à travers un cycle de projections en plein air gratuites, mêlant chefs étoilés et films cultes.

Chaque jeudi, une recette précède une séance. Et pas n’importe comment : des chefs comme Mory Sacko, Sanjee ou Jean-Rony Leriche partagent leurs influences avant des projections soigneusement choisies — Tampopo, Les Recettes du bonheur, Les Délices de Tokyo… Le week-end, place au cinéma familial gourmand, de Charlie et la chocolaterie à La Princesse et la grenouille.

Un programme généreux, joyeux, qui fait danser les papilles autant que les pupilles.


Où bien manger… dans une salle de cinéma

1. Le Salon du Cinéma du Panthéon (Paris 5e)
Situé au-dessus de la salle, ce salon cosy a été entièrement décoré par Catherine Deneuve. On y vient dès 12h30 pour déjeuner ou à partir de 15h pour une pause chic et cinéphile.

2. Le Kawaa du Lucernaire (Paris 6e)
Mi-café, mi-resto, mi-espace de coworking, ce lieu hybride offre une ambiance décontractée entre deux séances. Idéal pour travailler, manger ou juste flâner.

3. Le restaurant du Club 13 (Paris 8e)
La salle de projection fondée par Claude Lelouch abrite aussi un restaurant raffiné — une adresse culte pour ceux qui veulent plonger dans l’Histoire du cinéma.

4. Le restaurant de l’Entrepôt (Paris 14e)
Son restaurant propose des classiques revisités par le chef William Cottier. Une belle adresse pour mêler projection et assiette raffinée, dans un lieu à l’esprit arty et végétal.

5. Le Bistrot des Cinéastes (Paris 17e)
Parfait pour débriefer un film autour d’un plat ou d’un verre. Le lieu propose aussi des blind tests spécial ciné et séries — l’ambiance y est toujours vivante.

6. Le Jardin caché du Studio 28 (Paris 18e)
Salle mythique de Montmartre, le Studio 28 cache un charmant jardin où l’on grignote tartes salées et gâteaux maison. Pause bucolique garantie.

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